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Le Pardon





Je me rendis chez Oriandre, car j’étais affecté par une relation conflictuelle dont je n’arrivais pas à me dépêtrer.


Oriandre me reçut avec sa douceur coutumière. Après avoir bu un thé dans sa maison, nous sommes sortis pour évoquer ce problème. Il aimait particulièrement traiter divers problèmes en extérieur, marchant sur un chemin ou posé sur une souche ou près d’une source. Il disait que la nature apportait elle-même ses réponses. Cette fois-ci nous étions assis dans la pente, en bordure d’un pré à proximité de sa maison, entre l’ombre douce des arbres proches et le soleil radieux qui illuminait tout le pré.


Je lui exposais ce conflit qui trainait depuis quelques mois avec une personne qui souhaitait dorénavant poser la paix.



- Et toi, comment te sens -tu dans cela ? me demanda l’Ancien, directement.


Il aimait poser des questions directes. Avec lui, je n’ai jamais senti de jugement. Je sentais la parole libre. Libérée. Je pouvais dire ce que j’avais sur le cœur en me sentant accueilli. Quel que soit mon état.


- Je me sens à la fois plus apaisé de cette issue, car je ne sentais pas que j’alimentais ce conflit, je sentais plutôt cette envie de querelle de mon ami. J’ai cessé de répondre à ses sollicitations, mais cela perdurait. J’ai même vécu de la diffamation récemment. Là, même s’il propose la paix, je sens que ce n’est pas apaisé à l’intérieur. Pourtant je souhaite la paix de tout mon cœur.

J’ai vécu des phases obsessionnelles où je me justifiais, j’essayais même de me défendre ou de critiquer. Cela a été dur, car j’ai essayé d’exprimer ce que je ressentais, mais en essayant de ne pas critiquer en public. Cela ne m’empêchait pas de le critiquer dans l’intimité de mes pensées ou de mes rêves.


Il garda le silence un moment. Je ne sais jamais quand il reprend la parole qui s’exprime vraiment. Quand je regardais attentivement, je remarquais que sa voix changeait selon les moments. Comme si c’était la montagne, le ciel, la terre ou les arbres qui parlaient à travers lui. Peut-être même des êtres angéliques ou merveilleux. Je restais en écoute de ses mots, de sa voix et de la présence qui émanait de tout cela.


- Bien. Il y a plusieurs choses dans ce que tu m’exposes. Souhaites-tu connaitre la vision des Anciens dans de telles circonstances ?


J’acquiesçais d’un signe de tête.


- En fait, il y a trois niveaux de réalité dans ton histoire. Tout dépend d’où tu l’abordes.

Dans un premier niveau de réalité, il y a deux personnes et un conflit entre ces deux personnes ; Plus ou moins alimenté selon les moments, selon les situations, selon les états intérieurs. Un conflit entre deux personnes. Quand il y a une proposition de paix, un pardon, il est exprimé et accueilli ou pas par chacun des deux. Mais cela est un niveau de réalité qui ne correspond pas aux traditions des Anciens.


Un deuxième niveau de réalité ne met pas en jeu deux personnes, mais trois espaces. L’espace de ton ami, ton espace et l’espace entre vous deux. Cet espace est une réalité plus grande que de simples pensées ou émotions. C’est un réel espace. L’espace de ton ami, tu ne peux rien y faire. C’est son histoire. Ce sont ses affaires.

L’espace entre vous deux est l’espace entre vous deux.


Il me regarda avec le regard souriant. J’écoutais de façon sérieuse ses paroles, son regard m’invita à relâcher l’attention et à écouter différemment. Il m’invitait à écouter et sentir en même temps. Il me partageait une énergie. Avec mon changement de posture intérieure, il reprit avec une douce lumière dans la voix.


- Bien. Je vois que tu écoutes. Je vois que tu sens. C’est pareil pour l’espace entre deux êtres. Quand tu parles, en direct ou dans les pensées et histoires, tu nourris un espace. Cet espace est empli de ce que chacun y met. Tu viens de t’apercevoir de cet espace alors que nous discutons. Il en est de même avec ton histoire de conflit. Vous avez posé dans cet espace entre vous des choses. Comme si vous aviez jeté des pierres dans une mare boueuse. Dans un premier temps, lorsque vous arrêtez d’envoyer des pierres dans cet espace, l’eau reste boueuse. Il s’agit de laisser cela décanter. La boue va revenir au fond de la mare et l’eau va redevenir claire. Il ne suffit pas qu’un des deux arrête d’envoyer des pierres. Il s’agit des deux qui arrêtent de troubler cet espace entre deux. Lorsque l’eau redevient claire, tu vois mieux les pierres qui sont au fond de la mare. Alors il s’agit de nettoyer cela. D’enlever chaque pierre qui reste. Peu importe qui l’a jetée. Tu nettoies. Tu pries. Tu fais des offrandes. Quelle que soit ta façon, tu nettoies. Magiquement.

Nous sommes dans la réalité magique. Un seul peut nettoyer, ou même les deux. Cela prend du temps. Cela nécessite une écoute. L’écoute que l’harmonie revient dans l’univers depuis cette mare.


Il y a ensuite ton espace. Cet espace est ouvert ou pas, selon qu’à un moment tu te protèges des éclaboussures. Mais si je comprends bien, tu as reçu des éclaboussures de boue de cette mare dans laquelle vous avez jeté des pierres. Ces traces sont là. Comme des parasites. Elles sont comme des parasites qui se sont déposés dans tes corps subtils et physique. Il s’agit de les extraire. Il y a là aussi différentes façons, entre des purges, des soins, des onctions, des paroles, des chants, des mouvements respiratoires ou du corps, des transes, des danses… il y a de nombreuses façons, qui correspondent à ta nature magique. Tu enlèves ces parasites. Un pardon ne peut pas être pleinement vécu si des parasites persistent. Ton corps n’est pas une poubelle dont tu ne verrais pas le fond. C’est un temple qui nécessite un nettoyage régulier. Un temple sacré. Cela est ton travail. Prendre soin du temple et vider les poubelles. Tu connais cela, tu as déjà vécu cela avec les guérisseurs, aux Philippines.

Chacun prend sa responsabilité dans ce niveau de réalité. Mais cela reste dans un niveau personnel. Tu travailles depuis un espace d’histoires et d’interactions.


Il fit une courte pause et continua, sans sembler se préoccuper de mon écoute.


- Le troisième niveau de réalité, c’est d’accepter que tout est création divine. Ce corps, ces pensées… tu es une part de la création. Qui vit dans le présent de chaque instant. Il ne s’agit pas d’être dans le déni, au contraire. Il s’agit de ne pas nier ta vraie nature. Tu es une part de la création, de même que ton ami, ton frère, ton ennemi. Il n’y a pas plusieurs êtres. Il n’y en a qu’un seul. Cet être est si immense qu’il n’a pas de forme et se manifeste à travers toutes les formes. Là est ta vraie nature. Lorsque tu reconnais cela, tu vois qu’il y a des parts de la création qui ignorent leur vraie nature. Cela fait persister les histoires, les conditionnements, les conflits… cela alimente une fausse image d’une personne. Séparée. Une personne, ou plutôt un personnage, qui a un ensemble d’histoires. Sur lui. Sur les autres. Tant que tu es séparé, il y a conflit. Que tu le sentes ou pas. Car tu es en conflit avec ta véritable nature. Il y a un conflit entre un parasite intérieur qui veut te faire croire que tu es quelqu’un, que tu devrais avoir de l’importance, et ta vraie nature, que ton âme perçoit.

Ceci est une blessure originelle. Car tu ne sais pas qui tu es. Tu oublies, comme la plupart des êtres, ce que tu es. Si tu es séparé des arbres, du ciel et de la terre, des animaux et de tout ce qui vit, tu vis dans un monde de concepts et d’histoires. Tu te rassures en entretenant ce monde empli d’histoires, dont certains conflits. Dès que tu reviens au moment présent, les conflits cessent. D’ailleurs, tu peux l’observer simplement.


Il se tourna vers moi et me demanda simplement :


- Qui serais-tu si tu ne te référais pas au passé. Que serais-tu si tu accueillais là, ici et maintenant, ta vraie nature ?


Je sentais mon corps pétiller, je sentais un courant chaud parcourir tout mon corps. En certains endroits, je sentais des tremblements, comme des spasmes qui libéraient des blocages.


- Qui serais-tu ou que serais-tu si tu n’accordais pas toute ton attention aux pensées. Que serais-tu sans ces pensées ?


Je me mis à ressentir. Je sentais la fraicheur de l’ombre des arbres proches. J’entendais le chant des oiseaux que je n’entendais pas l’instant d’avant. Qu’il était beau ce chant d’oiseaux ! Merveilleux !

« Oh mon Dieu ! m’entendis-je penser. Où est-ce que j’étais ? Comment ai-je pu passer à côté de ces merveilles ! Comment ai-je pu m’oublier à ce point ? »


Semblant deviner mes pensées, Oriandre reprit avec une douceur particulière.


- C’est normal. Tu es en train de réaliser ta vraie nature. Tu oscilles entre divers niveaux de réalité. Car ce sont tous tes corps qui mutent. Tu vis une mutation. Ton corps physique, ton corps de souffrance, ton corps de lumière… tous tes corps sont en train de s’accorder à la nouvelle vibration que tu leur offre. Car ton intention est pure. Ta persévérance est louable. Cela opère magiquement. La terre s’harmonise en toi. C’est normal. Chez certains c’est fulgurant, chez d’autres c’est plus lent. C’est normal. Tout est bien.

Fais selon ton cœur aimant. Autrement dit, écoutes ton cœur. Ta tête est dans un ailleurs. Ton cœur, ton souffle, ta présence est ici. C’est La divine Présence qui vit à travers toi.

Seul cela compte.

Pour l’instant, si tu te sens fragile, vulnérable, c’est bon aussi. C’est une étape qui revient parfois. Un moment de réapprendre à accueillir ta vraie nature. Entoure toi d’arbres, de forêts paisibles. Il y a là de nombreux êtres qui peuvent t’aider. La présence des humains est parfois troublante. Reviens à la forêt. Limite les sollicitations et interactions humaines qui voudraient te faire croire en ton personnage. Reviens à la Présence. Écoute à l’intérieur de toi. Tout y est. Laisse ton ignorance se remplir de Présence. C’est le seul chemin du pardon. Revenir à la présence. Il n’y aura plus de conflits en toi. Plus de conflits à l’intérieur, plus de conflits à l’extérieur. Juste ça.


Il ouvrit les bras et montra le paysage. J’étais intérieurement bercé par ses paroles. Le paysage était magnifique. Entre ombres et lumières. Vivant. Dansant. La vie s’exprimait merveilleusement.


Au bout d’un moment de silence, nous reprîmes le chemin du retour. Dans le ciel, un magnifique rapace plana au-dessus de nous. Son vol était comme un message. « Oui, continues. Persévère. Ton âme vole déjà dans la lumière, laisse-toi accorder. Laisse-toi enseigner. Laisse-toi soigner. Laisse-toi imprégner complètement. Et alors, il n’y a plus de différence. Regarde, je vole avec l’air et tous les soleils… et ton âme vole avec moi. »

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