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Méditation du manque (et de la gratitude)



Il faisait nuit quand je me suis levé pour la méditation du petit matin. Je m’étais couché avec quelques frustrations. J’avais très envie d’adopter des animaux : un chat, un chien, des chèvres, des ânes… je me souvenais de tous ces moments agréables passés en compagnie de ces animaux que j’ai eu comme compagnons à divers moments de mon existence. Un pur régal cette relation qui se tisse avec un animal qui accepte d’être votre compagnon.


Or ma compagne ne souhaitait pas d’animal à ce moment-là. J’ai insisté un peu, mais j’ai vite remarqué que c’était vain.


Alors en fin de nuit, pour ma méditation de l’aube, j’ai accueilli ces manques. C’est le meilleur moment pour faire ce type de méditation. Démarrer une méditation entre 3 et 5 heures est un réel cadeau. Tout le monde dort : les personnes qui vivent avec vous, les plantes, les animaux, les voisins… La plupart des êtres civilisés dorment aux heures matinales. C’est l’heure des chevreuils des sangliers et des renards.


J’observais les sensations corporelles, la respiration, ainsi que les pensées et histoires au sujet de ces animaux. Je voyais cela sans y attacher trop d’importance. Je les laissais arriver et disparaitre pour être remplacées par d’autres sensations ou histoires. Il y eut de merveilleuses images du passé qui alternaient avec un possible futur heureux avec des balades forestières caprines, des ronronnements de chats, des complicités joueuses avec un chien… J’alternais entre ces histoires et la perception du corps qui restait assez neutre. Je voyais que la relation n’est pas la même avec une plante qu’avec un animal. Ce n’est pas la même complicité. Pas les mêmes perceptions. Une plante ne réagit pas beaucoup aux propositions de partage. Elle est par nature plutôt statique et peu expressive.

De même avec les membres de notre famille, de notre tribu, ce n’est pas la même relation. Un animal apporte une relation sans paroles, une pure relation empathique. Une relation de l’instant où l’animal, si la relation est aimante, apporte toujours sa part de joie et des vibrations ambiantes d’amour.


J’étais dans ces pensées, dans ces histoires, et je sentais la frustration monter de ne pas avoir d’animal qui vive à mes côtés. J’avais eu des animaux comme compagnons depuis ma plus tendre enfance, et ces derniers temps je n’en avais plus avec moi. Je sentais que cela me manquait. Une sorte de solitude montait au fur et à mesure de la méditation. Car la méditation est une observation. Sans chercher à changer quoi que ce soit, une observation.


J’étais dans la méditation du manque. Dans l’espace ouvert de cette méditation du manque, des pensées viennent s’inviter, comme le manque de temps, le manque de relations, le manque d’argent, le manque de tel objet… tout ce qui potentiellement pourrait nous apporter plus de bonheur. Être plus heureux. Les besoins de chacun sont différents, mais le manque est le même. Un même vide que l’on ne peut remplir si l’objet extérieur n’est pas obtenu. Le manque est le manque, quelle que soit l’image qui l’accompagne. Et il ne s’agit pas de le minimiser. Au contraire, c’est une réelle invitation à ressentir cela.


J’ai donc accueilli le manque, avec son cortège d’émotions et de sensations physiques. Quand la liste sembla complète, au pic de la méditation, je choisis d’offrir tout cela.

J’observais d’abord que j’étais en sécurité, dans un lieu entouré de forêts, un lieu que j’avais choisi. L’autel était là. L’espace parfait pour faire mon offrande. Offrir tous mes manques, tous mes élans de possessions, d’amélioration, mes manques subtils et les plus profonds. La racine de mon insatisfaction.

« Il me manque tout cela, alors je m’en remets. J’abandonne tout cela. Vie, je m’en remets à toi. Pleinement. Tous mes « je veux » je te les remets. Tout ce qui me manque, je te le donne. Je m’en remets à ton infinie sagesse. Qu’est-ce qui se passerait si je m’abandonnais à ta présence divine ? Qu’est-ce qui se passerait si je m’abandonnais à la confiance que tout est à sa juste place ? Je m’en remets. J’arrête de lutter. De vouloir remplir un vide sidéral. Je m’en remets. »


Intérieurement, je sentis un abandon sous le poids de tous mes manques. Je m’agenouillais intérieurement face à l’Invisible. Face au vide. Je m’agenouillais le cœur touché par la tristesse de ces manques.


Ce que je perçus était inimaginable l’instant d’avant. Je perçus un courant qui parcourut mon corps, et fit vibrer ma tête. Comme une reprogrammation instantanée. Le corps se mit à vibrer de plus en plus. Les pensées s’arrêtèrent. Je n’étais que vibration. Je reconnus cette vibration. C’était de l’amour pur. Aucune peur. Aucune crainte. Aucun manque. Un amour plein. Total. Lumineux et vibrant. D’une intensité que je n’avais que très rarement touchée. Je sentis cela tout en percevant que mes pensées avaient instantanément changé de nature. Même le corps était perçu différemment. Il ne m’appartenait plus. Il s’était lui aussi offert dans cette prière silencieuse.


Cela s’estompa au bout d’un temps dont je ne saurais dire la durée, car c’était un temps sans temporalité. Un présent sans durée.

Comme cela s’estompait, je demandais à l’Invisible, au Silence, si je pouvais retrouver cela.

Je plongeais à nouveau dans cet état. Je m’y abandonnais, laissant de côté toute sensation. Je m’abandonnais pleinement, laissant même de côté le côté extatique de l’expérience. Je faisais un avec l’Infini.


La solitude, le manque, et tout ce qui pouvait en découler n’existent pas dans cet espace. Il n’y a pas de place vide. Pas d’espace, même microscopique, où la lumière serait vide. Elle emplit tout. Elle élève tout. Quand le cœur se dépose, que le corps s’incline, il y a une coupe qui nous reçoit. Une coupe qui nous accueille et nous élève. Nous sommes baignés de lumière. Bénis de lumière blanche.

Il y a peut-être un après. Comme dans le passage de la mort où tant de témoins relatent une lumière pure, blanche, un pur amour, puis un tunnel.

Je n’ai pas vu de tunnel. Il n’est peut-être pas ouvert aux vivants. Le seul tunnel qui nous soit peut-être accessible est le canal ouvert que nous sommes. Humblement, en une vie qui accueille la simplicité, en une vie qui se dépouille du superflu, un canal s’ouvre. Un passage où nous ne sommes même pas concernés. Il s’agit juste d’amour. Et utilisant le moyen habile de la méditation, nous percevons cette vibration subtile ou intense qui vient nous visiter. Même dans les heures sombres. Même dans les solitudes les plus vastes. Il y a une vibration divine qui nous relie, tel un cordon ombilical, à la source même de notre vie. La source même de la Vie.


Quand l’expérience fut momentanément achevée, que la grâce perdit en intensité, je restais un moment dans le silence et la pièce obscure éclairée par la petite flamme d’une bougie.

Je restais comme un arbre accueille le soleil, même quand il est couché au-delà de l’horizon. Il y a une trace dans l’air qui perdure. Une lumière qui persiste dans la nuit. Une empreinte indélébile qui marque l’univers entier.


Mes manques avaient subtilement disparu. Je pensais avoir initié une méditation sur le manque. Tous nos gouffres sans fond, tous nos manques ont un seul socle : la gratitude. Oui. La gratitude.

Quand le manque se rend compte qu’il est insatiable, qu’il ne pourra jamais être comblé, quand nous cessons de lutter et de résister à sa présence, quand nous nous agenouillons intérieurement devant ce gouffre, en espérant qu’un pont magique se dessine pour aller vers un autre côté plus heureux, un souffle arrive.


L’abandon est une posture de sagesse pour tout guerrier. Abandonner toute motivation, toute guerre, tout combat. Cesser de lutter et s’en remettre. Une force nouvelle arrive alors. Elle est emplie de sagesse. Elle rappelle que la lutte est inutile. La lutte est vaine quand tout est là. Quand il n’y a pas de danger immédiat, à quoi bon chercher à lutter ? A quoi bon chercher tout court ? Il n’y a qu’à s’en remettre. Humblement.


Chaque humain est un canal de lumière qui peut réaliser sa nature. Homme, femme, enfant, chaque humain, sans aucune condition requise, si ce n’est de s’en remettre.


Nous devenons alors un autre être.

Nous devenons réellement un autre être.

Et ce nouvel être accueille le jour nouveau qui se lève.

Un nouveau soleil.

Un nouveau présent.

Et la vie se manifeste.

Foisonnante comme un printemps fleuri.

Exubérante comme une source qui jaillit.

Apprenant à accueillir cela, le guerrier dépose les armes et ouvre ses mains.

Il accueille et distribue chaque rayon de lumière dans ses mains ouvertes.

Un ange bienveillant passant par là souffle un court instant sur ces mains ouvertes.

Un oiseau chante le matin.

Les fleurs s’éveillent.

La nature est heureuse.

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