Bonjour,
Je vous écris une nouvelle lettre intimiste. J'aime vous écrire. Vous donner des nouvelles... Parmi mes textes préférés, les correspondances ont une place privilégiée, que ce soient les correspondances du poète Rilke, ou les lettres d'amour de Khalil Gibran...
Alors je vous écris. Dans la douceur de ma petite maison au milieu des forêts. La fenêtre est ouverte et j'entends dans l'air ambiant le son de la rivière qui se mêle au chant des oiseaux et au bruissement des feuilles des arbres tout proches. Je choisis une vie de simplicité. Et au moment où je vous écris, de nombreuses personnes me témoignent de leur aspiration à une vie plus simple. Une vie heureuse. Paisible. C'est possible. Nous aurons peut-être l'occasion de partager sur cela dans un autre courrier, ou lors d'une rencontre.
En fait, je vous écrivais pour vous partager un témoignage sur une expérience dont les effets perdurent depuis plusieurs semaines. Une expérience en lien avec le Vivant.
Je reviens d’un voyage sacré. Un voyage vers un lieu sacré. Je suis allé rencontrer un être considéré comme un grand chamane occidental. C’était en Espagne. J’ai passé avec lui quatre jours et trois nuits. J’ai vécu quelque chose de particulier. Un nouveau tour dans la spirale de la conscience.
Nous étions en ce lieu hors du temps, hors de l’espace habituel. Son lieu est une maison et une garrigue basse à quelques kilomètres de la mer. Un endroit sec, aride, minéral tant les roches sont apparentes et la végétation basse. Un lieu de lenteur tant la chaleur et la sécheresse incitent à croitre et bouger lentement. La journée j’étais seul avec lui pour de longs enseignements, et la nuit son assistant nous rejoignait pour des cérémonies. C’était très intense.
Ce que j’ai traversé n’est pas racontable, tant les mots ne peuvent décrire ce qui fut vécu.
Cependant, je peux partager ceci. Cet homme est ce que l’on nomme communément un éveillé. Il vit dans le moment présent, sans identification à une histoire personnelle. Il vit donc comme un Jésus retiré des affaires du monde, ouvert à la Présence, enseignant et réalisant des miracles et partageant cela aux visiteurs de passage. Cela m’a bouleversé.
Je sens une forme d’intégration intérieure de ce séjour. Etrangement, comme par transmission perméable, j’ai vécu quelques jours hors du temps et hors de mes repères.
Et en quittant cet espace, quelque chose a perduré. Mon mental a subi une belle opération de chirurgie angélique… Ces jours-ci, je vois avec une autre dimension. Je perçois les êtres, humains et animaux, ainsi que les arbres, la rivière, le ciel… avec une intensité que je ne connaissais pas. Comme si je les voyais avant en deux dimension et qu’ils devenaient subitement en trois dimensions. C’est à la fois étrange et fortement savoureux. La vie prend une autre teinte. Un autre goût.
En plus de percevoir différemment, je sen de l’espace. De l’espace dans mon corps, de l’espace dans mes pensées, entre mes pensées… cela aussi est savoureux. Et je me rends compte à quel point cela est précieux. Si précieux que je n’ai pas trop envie de croiser d’autres humains. Dans ce que je perçois, ce sont les seuls êtres qui ont une vibration qui voudrait resserrer, comprimer, cet espace qui est si déployé. L’humain comprime par ses interactions et ses vibrations. Il s’agit de limiter ces interactions pour moi pour le moment. Je me sens si bien dans cette béatitude…Limiter les interactions… entretenir cette qualité qui me rend si vivant… si sensible à la Vie…
Ce matin un élan d’écriture entraine cette lettre. Un élan d’amour dans lequel vous êtes présent et présente. Vous êtes présents. Dans les deux sens du mot. A la fois perceptibles et à la fois un cadeau de la vie.
Je me rends compte ce matin de la folie à laquelle je croyais. Chaque nuit, plongeant dans le vaste océan de la béatitude, je quittais cet océan avec le réveil matinal, pensant que j’étais le même personnage que la veille. Avec son prénom, ses amis, ses relations, son activité… Chaque nuit, nous mourrons à nous même. Le personnage se dissout. Le matin, il ne reste qu’une apparence. Un corps qui se remplit de perceptions. Et dans un petit espace de ce corps, peut être quelques petits millimètres, il y a un organe qui s’active et qui dit « tu es le même qu’hier ». Comme c’est une voix matinale, généralement nous la croyons. « Tu es ce corps. Tu es cette personne. Tu es cette histoire… »
Nous avons le choix de croire cette voix ou pas. D’adhérer ou pas. Cette voix comprime. Réduit. Cette voix parle tout en caressant les barreaux d’une cage invisible. Une cage qui empêche d’étendre ses ailes. Les ailes de la conscience.
Chaque matin, nous sommes neufs. Nous sommes nés à nouveau. Sortant du bain vivifiant de la conscience. La vaste conscience. Chaque matin nous arrivons de là et y retournons chaque nuit. Chaque jour nous naissons et mourons.
Chaque jour nous avons l’opportunité unique de vivre, d’expérimenter le bonheur, d’exprimer l’élan créatif et créateur de la vie.
Voici quelques chiffres qui peuvent vous donner le vertige. Si vous avez la trentaine, vous avez vécu environ 11 000 cycles de mort/renaissance. Si vous êtes dans la cinquantaine, vous avez dépassé les 50 000 jours sur Terre. Chaque jour est un jour nouveau. Chaque instant est unique.
Si nous nous référons au passé, nous n’avons pas accès au présent. Le passé et le futur sont deux temps qui ne s’ouvrent pas au présent. Le présent est unique. Il a ses propres lois et fonctionnements. Il s’agit de faire un choix et d’expérimenter.
Je ne trouve pas que le mental entraine une illusion. Il entraine une réduction. Une compression. Une forme de mort latente avec ses petites compensations et plaisirs fugaces qui rendent acceptables cet état. Cependant, certains d’entre nous ne souhaitent pas se contenter de cela. Un appel intérieur est si fort que rien ne peut l’empêcher. C’est un jaillissement. La vie appelle. Nous sommes comme ces animaux qui vivent une seule journée, ces éphémères, qui se délectent de la vie tant la fragilité de leur existence les place dans l’intensité du présent.
Il n’y a pas d’âge, de condition sociale ou financière pour plonger dans cette intensité. Il s’agit juste d’un choix. Et alors un mouvement intérieur se crée. Rapide pour certains, lent pour d’autres. Avec ses phases perceptibles et ses moments où il semble ne rien se passer intérieurement (ces fameux moments de reprogrammation ou de téléchargement de nouveaux programmes de fonctionnement). Tout cela est un mouvement.
Tous nos « il faut… » et « je dois » fondent face à la priorité de revenir à la vie. De revenir à l’amour. De revenir à notre véritable nature.
Chaque jour est une occasion à la fois merveilleuse et unique de plonger dans cette vie, dans cet amour, dans cet espace vibrant.
Je vous souhaite de sentir suffisamment cet appel pour y répondre. Pour vous laisser surprendre par la transformation intérieure. Le retournement. Il n’y a rien à guérir. Rien à chercher. Juste répondre intensément à cet appel intérieur. Garder cette priorité présente aide à ouvrir quelque chose en nous. Il y a tant d’outils qui permettent de limer un à un les barreaux de cette cage qui nous comprime et nous réduit…
Ouvrant nos ailes, nous pouvons percevoir que finalement nous ne sommes pas importants. Nous ne sommes rien. Car dans la saveur de cet océan qui nous accueille, nous sommes vibrant avec tout. Nous sommes tout. Et tout nous parle. Tout nous renvoie l’écho vibrant que nous nageons dans le vivant.
Stéphane
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